
FICHE LECTURE INCLUSIVE
L’Invention de la culture hétérosexuelle
de Louis-Georges Tin (2008)
Une pratique devenue un empire, non sans des résistances étonnantes







[Texte sur les images]
Lecture incusive
L’invention de la culture hétérosexuelle, Louis-Georges Tin
Une pratique devenue un empire, non sans des résistances étonnantes
L’Invention de la culture hétérosexuelle de Louis-Georges Tin (2008), dépasse les évidences connues de l’hétérosexualité en tant que culture et retrace une histoire éclairante, paradoxale et non forcément attendue de l’amour, des passions et des sexualités. Son ouvrage est, je trouve, une illustration assez percutante de la façon dont la culture impacte nos propres sentiments, nos affects, nos envies.
A propos de cette histoire que l’on connaît touxtes, celle de l’hétérosexualité, qu’il introduit comme « un empire invisible, invisible du moins pour la plupart des hétérosexuels » (p.6), il raconte les origines de l’apparente naturalité de l’hétérosexualité en la replaçant dans son histoire. Son chemin explicatif s’appuie sur des productions culturelles (chansons, poésies, arts…) de cette pratique devenue une norme valorisée, un ordre symbolique fondé sur le couple et l’amour romantique.
Ce récit du normal-invisible est fait de résistances étonnantes qui émanent de la chevalerie, de l’Église, et de la médecine que Tin met en lumière. Elles sont étonnantes pour nous, parce qu’aujourd’hui ces institutions viriles, patriarcales et normatives habitent pleinement nos représentations de la culture hétérosexuelle.
Au-delà de l’hétérosexualité, il est question de liens sociaux, de compréhension de l’amour, de domination et de pouvoir.
Louis-Georges Tin raconte cette histoire en opérant ce qu’il présente comme une «véritable révolution épistémologique » c’est-à-dire “sortir l’hétérosexualité de l’“ordre de la Nature”, et la faire entrer dans l’“ordre du Temps”, c’est-à-dire dans l’Histoire »(p.11).
L’hétérosexualité n’est devenue une culture dominante qu’à partir du XIIe-XIIIe siècle, avec l’émergence de l’amour courtois, marquant une rupture avec les relations homosociales prédominantes dans la société médiévale. Cette reconfiguration instaure une nouvelle grammaire des désirs et des hiérarchies affectives.
Cette culture qui valorise le couple homme-femme et l’amour romantique, diffère de la pratique hétérosexuelle et de la reproduction sexuée : “si la reproduction hétéroséxuée est la base biologique des sociétés humaines, la culture hétérosexuelle, elle, n’est qu’une construction parmi d’autres, et en ce sens, elle ne saurait être présentée comme le modèle unique et universel” (p.10).
Tin distingue ainsi la pratique hétérosexuelle – constante, inscrite dans la reproduction biologique – de sa reconnaissance sociale comme norme valorisée, c’est-à-dire de son élévation au rang de culture.
Il s’appuie sur un corpus littéraire et historique (chansons, poésies, oeuvres littéraires et productions culturelles) qui témoigne des transformations progressives du rapport aux sexualités et aux affects et illustre comment ce régime s’est installé progressivement. Ce qu’il y a eu avant, ce qu’il y a depuis. Quelles étaient les strates de cette construction ? Quelles tensions ? Quelles résistances ?
Il structure sa pensée et son récit en trois parties, chacune éclairant une forme de résistance à cette montée en puissance de la culture hétérosexuelle :
1. La chevalerie : valorisation des liens homosociaux entre hommes porteurs d’une autre forme de valeur et d’attachement.
2. L’Église : promotion de la chasteté et méfiance envers l’amour charnel.
3. La médecine : pathologisation de l’amour-passion perçu comme excès et désordre.
(p.16) : « A l’évidence dans la société féodale dont il est ici question (c’est-à-dire à l’époque qui précède l’émergence de la courtoisie), la relation homme-femme n’est guère un enjeu culturel majeur. L’hétérosexualité est à la fois nécessaire et secondaire »
(p.33-34) : « c’est la conversion de l’éthique chevaleresque à la culture courtoise. Un homme et une femme qui s’aiment, cela devient un sujet en soi, l’argument suffisant pour un roman entier. Ce qui engendre l’aventure ce n’est plus la quête religieuse, l’ardeur belliqueuse ou les deux à la fois comme dans les récits de croisade, c’est désormais la quête amoureuse »
(p.73) : « Ce que l’éthique chevaleresque reprochait à la culture hétérosexuelle, c’était surtout son caractère hétéro, qui donnait plus de place aux femmes (du moins en apparence), qui risquait de rendre les homme efféminés, et qui venait en somme rompre l’ordonnance d’un monde homosocial que l’on croyait parfaitement huilé. L’irruption du féminin, sinon des femmes, dans cette société féodale posait donc aux chevaliers un problème de genre »
(p.73) : « ce que le l’éthique cléricale reprochait à la culture hétérosexuelle, c’était surtout son caractère sexuel qui donnait plus de place à la chair, qui risquait de pousser les croyants à la concupiscence, et qui venait en somme rompre l’ordonnance d’un monde que l’on voulait convertir à la spiritualité chrétienne ».
(p.141) : « la médecin s’opposa elle aussi à la culture hétérosexuelle de l’amour, de plus en plus prégnante dans le dernier tiers du Moyen Âge, et qui explosa littéralement au XVIe siècle. L’éloge de l’amour et de la passion fut perçu comme le symptôme d’une pathologie sociale, véritable épidémie que les médecin tentèrent de soigner. »
Référence bibliographique :
Tin, L.-G. (2008). L’invention de la culture hétérosexuelle. Éditions Autrement.