Les transidentités dans l'enfance, préambule.
Par Noah Gottlob, publié le 26 juin 2020
Extrait en partie du mémoire : Le vécu des enfants transgenres face aux professionnel·le·s de Noah Gottlob (ULB, 2020).
Il apparaît parfois difficile de se questionner sur ce qui semble évident, naturel. D’apparence, l’équation a l’air simple : les caractéristiques sexuelles font d’une personne un homme ou une femme. Si un individu dispose d’un sexe masculin, il sera un homme ; d’un sexe féminin, une femme.
En réalité, les choses ne sont pas si tracées, rigides. D’une part, parce qu’il existe tout un éventail de caractéristiques sexuelles qui dépassent cette binarité : les personnes intersexes. D’autre part, parce que le genre, c’est-à-dire le fait de se sentir femme, homme ou autre, résulte d’un ensemble de mécanismes bien plus complexe que cette logique dichotomique (1) (2).
Si une majorité statistique de personnes évolue dans le genre qui lui a été assigné à la naissance(a), certain·e·s ne s’y identifient pas (ou pas seulement, ou pas complètement, ou plus). Émerge alors la nécessité d’une transition. L’évidence de cette transition apparaît parfois dès l’enfance. Les enfants transgenres enjambent ainsi de rigides certitudes sociétales et usent de leur capacité à autodéterminer leur identité (2) (3).
Trans, du latin, exprime l’idée d’aller au-delà, par delà, par-dessus (4). Le terme transgenre doit être compris comme le fait de ne pas s’identifier (ou pas seulement, ou pas complètement) au genre assigné à la naissance. Les personnes transgenres outrepassent la rigidité des certitudes de genre (5) (3) (6). Inversement, les personnes cisgenres ont une identité de genre qui coïncide avec celui d’assignation, « par exemple une personne possédant un corps femelle et se sentant femme » ((7), p.29).
Il existe différents types de transition qui s’étendent, notamment, de la transition sociale à la transition juridique, en passant par la transition hormonale, chirurgicale, etc. Il n’y a pas une transition qui fait de soi une personne transgenre. Chacun·e peut ainsi combiner (ou non) une ou plusieurs de ces transitions de la façon qui lui semble la plus adéquate.
Enfants transgenres
Quand la réalité ne concorde pas avec le genre assigné à la naissance, les personnes concernées (personnes transgenres ou transidentitaires) questionnent les frontières du genre. Certaines de ces personnes changent de genre – changent le genre (7) (8).
Dans certains cas, l’évidence de la nécessité d’un changement de genre apparaît déjà très tôt dans l’enfance. Pour les enfants transgenres, les injonctions et les catégorisations de genre sont vécues comme violentes parce que non concordantes avec la perception qu’il·elle·s ont d’eux·elles-mêmes. Notons que cette prise de conscience n’émerge pas obligatoirement dans les premières années de vie, pouvant tout à fait apparaître plus tard dans l’enfance, à l’adolescence ou même à l’âge adulte (2).
Toutefois, selon plusieurs études, le sentiment d’identité se développe avant l’âge adulte (dès trois ou quatre ans) (9). Celui d’incongruence entre identité de genre et sexe assigné apparaîtrait, en moyenne, vers l’âge de 10,4 ans (intervalle de 6 à 15 ans) (10).
Un jour, en rentrant de la maternelle Violette a dit, « Maman tu dois absolument parler au directeur ! Tout le monde me dit que je suis un garçon, mais moi je suis une fille ! » (11)
Les autrices Annie Pullen Sansfaçon et Céline Bellot donnent la définition suivante des « jeunes trans » soit des « enfants ou de[s] jeunes dont l’expression du genre ou l’identité de genre ne correspond pas aux attentes conventionnelles établies dans la société, pour leur sexe assigné à la naissance » ((12) p.39).
Ces jeunes ressentent un « décalage entre ce qu’ils se sentent être et les attentes de leur entourage » ((2), p.6). Comme nous l’avons vu, il·elle·s peuvent prendre conscience de cette incongruence tôt dans leur développement et peuvent, par ailleurs, entreprendre l’une ou l’autre forme de transition. Soulignons, qu’une fois qu’il·elle·s peuvent affirmer et vivre leur identité de genre authentique ces enfants ont un sentiment d’identité de genre dont la force et l’ancrage est identique à celui des enfants cisgenres (12) (13).
Identité de genre
L’identité de genre est le sentiment personnel « d’appartenir à un genre (féminin, masculin, ou genre défini individuellement ». Celle-ci se construit et fluctue au cours du temps (2). Il s’agit d’un tissage complexe qui entremêle autoperception, inscription symbolique et image que l’on envoie et qui nous est renvoyée en retour (3).
Les principes de Jogjakarta – principes concernant l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre – définissent l’identité de genre comme « l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps […] et d’autres expressions du genre, y compris l’habillement, le discours et les manières de se conduire » ((14) p.6).
Soulignons que l’identité de genre, et plus largement le genre lui-même, ne doit pas être confondu ni avec le sexe ni avec l’orientation sexuelle. Le sexe concerne principalement les attributs du corps (6). L’orientation sexuelle désigne « les affinités identitaires, les désirs ou les conduites sexuelles d’une personne selon son sexe et le sexe de ses partenaires, fussent-ils fantasmés » ((15) p.42). Enfin, le genre, quant à lui, a trait aux aspects psychologiques et sociaux (6). Comme le souligne Michel Dorais, le genre est « plus subjectif et fluide que le sexe » ((15) p.44).
La croyance qu’un enfant prépubère ne pourrait pas être transidentitaire ou même évoquer et/ou questionner son genre est entretenue à cause d'une confusion entre genre et sexualité (11).
Discrimination spécifique
Dans la société actuelle, les personnes transgenres s’exposent à de vives discriminations qui impactent violemment leur santé mentale. Les enfants sont particulièrement touchés et doivent être considérés, selon certain·e·s auteur·rice·s, comme un groupe vulnérable, qui, par rapport à leurs pairs cisgenres, présente un risque plus élevé de développer des difficultés psychologiques (3) (16) (17).
La littérature souligne par ailleurs, que plus l’enfant transgenre est jeune plus il·elle rapporte des expériences négatives (18). Peu de professionnel·le·s sont, en effet, formé·e·s aux spécificités de leur situation (16).
Conclusion
En parcourant brièvement la notion de genre nous réalisons la profondeur de l’ancrage des rôles de genre dans notre société. À tel point que l’on questionne à peine ce qui se présente comme la démonstration de la nature. Cette construction socio-culturelle a fini par s’inscrire dans l’inconscient collectif. On répond « parce que c’est comme ça » à un enfant qui demande, par exemple, pourquoi les filles sont fortes à l’école (1). En conséquence, il apparaît difficile de se questionner à propos de ce qui a toujours été évident. Mais certaines personnes ne trouvent pas leur compte dans la dichotomie binaire opposant féminin et masculin ou dans l’interdiction d’autodéterminer son genre.
Les transidentités impliquent la sphère de l’identité de genre (et/ou son expression) et visent par conséquent le sentiment personnel d’appartenir à un certain genre (ou plusieurs). Comme nous l’avons présenté, il s’agit d’un tissage complexe dont la profondeur dépasse la question des stéréotypes ou des qualités reconnues socialement pour tel ou tel genre puisqu’il s’agit d’un vécu identitaire profondément ancré (2) (3) (12) (13).
Noah Gottlob
Remarque
(a) Dès qu’il naît, le bébé est identifié, en fonction de ses caractéristiques sexuelles (mâles ou femelles), à un genre (masculin ou féminin) (Galinon-Mélénec & Martin-Juchat, 2014). Il·elle se trouve ainsi étiqueté·e d’un genre, qui va, a priori, le·a déterminer jusqu’à son dernier souffle. Les expressions « assigné/e garçon » ou « assigné/e fille » sont souvent utilisées par les personnes concernées. En anglais AMAB (assigned male at birth) ou AFAB (assigned female at birth). (Rowland, 2015, p.17).
Références bibliographiques
(1) Détrez, C. (2015). Quel genre ? Paris : Editions Thierry Magnier.
(2) Schneider, E. (2013). Les droits des enfants intersexes et trans’ sont-ils respectés en Europe ? Une perspective. Conseil de l’Europe. En ligne : https://rm.coe.int/168047f2a8 (consulté le 17/1/19 à 13h48).
(3) Poirier, F., Condat, A., Laufer, L., Rosenblum, O., & Cohen, D. (2018). Non-binarité et transidentités à l’adolescence : une revue de la littérature. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 66(6), 335-398. doi : 10.1016/j.neurenf.2018.08.004.
(4) Gaffiot, F. (1934). Dictionnaire latin français. Paris : Hachette. En ligne : https://www.lexilog os.com/latin/gaffiot.php (consulté le 27/03/20 à 12h15).
(5) Genres Pluriels. (2016). Transgenres identités pluriel.le.s. Brochure. Bruxelles.
(6) Rowland, O. (2015). Les genres non-binaires sur Internet et Facebook. Observatoire des transidentités. En ligne : https://www.observatoire-des-transidentites.com/2015/05/08/ 2015-05-les-genres-non-binaires-sur-internet-et-facebook/ (consulté 4/12/18 à 19h03).
(7) Motmans, J., de Biolley, I., & Debunne, S. (2009). Etre transgenre en Belgique. Un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres. Bruxelles : Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes.
(8) Agius, S., & Tobler, C. (2012). Les personnes trans et intersexuées : La discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre et l’expression de genre envers. Commission européenne. doi : 10.2838/56397.
(9) Ehrensaft, D. (2012). From gender identity disorder to gender identity creativity : true gender self child therapy. Journal of Homosexuality, 59(3), 337-356. doi : 10.1080/00918369.2 012.653303.
(10) Grossman, A.H., & D’augelli, A.R. (2006). Transgender youth : Invisible and vulnerable. Journal of Homosexuality, 51(1), 111-128. doi : 10.1300/J082v51n01_06.
(11) Transkids. (2019). Dossier de presse. Bruxelles.
(12) Pullen Sansfaçon, A., & Bellot, C. (2016). L’éthique de la reconnaissance comme posture d’intervention pour travailler avec les jeunes trans. Nouvelles pratiques sociales, 22(2), 38-53. doi : 10.7202/1041178ar.
(13) Liu, R.T., & Mustanski, B. (2012). Suicidal ideation and self-harm in lesbian, gay, bisexual, and transgender youth. American Journal of Preventive Medicine, 42(3), 221-228. doi : 10.1016/j.amepre.2011.10.023.
(14) Principes de Jogjakarta. (2007). Les principes de Jogjakarta, Principes sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. En ligne : www.yogyakartaprinciples.org (consulté le 3/5/19 à 21h09).
(15) Dorais, M. (2015). Repenser le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. Santé mentale au Québec, 40(3), 37-53. doi : 10.7202/1034910ar.
(16) Pullen Sansfaçon, A. (2015). Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus et des interventions à privilégier pour le développement de pratiques transaffirmatives. Santé mentale au Québec, 40(3), 93-107. doi : 10.7202/1034913ar.
(17) Raymond, G., Blais, M., Bergeron, F.-A., & Hébert, M. (2015). Les expériences de victimisation, la santé mentale et le bien-être de jeunes au Québec. Identités et orientations sexuelles, 40(3), 77-92. doi : 10.7202/1034912ar.
(18) Motmans, J., Wyverkens, E., & Defreyne, J. (2017). Être transgenre en Belgique. 10 ans plus tard. Bruxelles : Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes.